Sorti l’an dernier, A Plague Tale: Innocence développé par les bordelais d’Asobo n’est pas passé inaperçu. Principalement remarqué pour sa profusion de rats nous allons pourtant peu nous attarder sur ce point. Ce dont nous allons parler dans cet article c’est principalement de la narration, cœur du jeu, et plus précisément de l’opposition entre les enfants et les atrocités dont ils sont témoins.
Attention ! Cet article contient beaucoup de spoilers.
Contexte
L’aventure prend place en 1348 dans une France du Moyen Âge enlisé dans la Guerre de Cent Ans face aux anglais. Les français enchainent les défaites sur leur propre territoire laissant l’adversaire progresser dans les terres en pillant et détruisant des villages. Les charniers sont alors un vecteur parfait pour la propagation des maladies. Une en particulier, venu d’Asie, apparait à ce moment-là, la Peste Noire. Très contagieuse et extrêmement mortelle elle se propage rapidement dans le royaume entier en faisant des ravages. Mais ce mal ne vient pas seul, avec lui apparait des hordes de milliers de rats. Ils détruisent et dévorent tout ce qui se trouve sur leur chemin.
Dans ce contexte le joueur incarne la jeune Amicia De Rune. Fille de seigneur, elle mène une vie paisible loin du danger et de la pauvreté. Sa vie bascule lorsque l’Inquisition, organisme catholique luttant contre les hérétiques, débarque chez elle pour venir chercher son jeune frère Hugo. Elle voit mourir sous ses yeux son père et la plupart des domestiques de la demeure. Elle réussit de justesse à fuir avec son frère. Commence alors une longue cavale contre l’Inquisition. Amicia hérite du devoir de sa mère, soigner Hugo qui est rongé par une étrange maladie depuis sa naissance.
Des enfants qui découvrent le monde
Les deux enfants ont toujours grandis dans un cadre idyllique, insouciant des dangers du monde. Ils font preuve au début de l’aventure d’une grande innocence.
C’est pour Hugo que la rupture entre la vie de château et celle d’orphelin est la plus forte. Il n’a jamais quitté le cocon réconfortant de sa chambre. Il se pose de nombreuses questions sur ce qu’il voit. Nous retrouvons le même type de relation que dans The Last Of Us (Naughty Dog / 2013) ou encore dans le magnifique livre La Route (Cormac McCarthy / 2006) . L’ainée prend sous son aile un enfant qui découvre le monde, la dureté de la vie. Le tout dans un cadre apocalyptique forçant le jeune à prendre rapidement en maturité.
Hugo s’émerveille de tout. Au milieu de l’horreur et des morts ils gardent son âme d’enfant et ne manque pas une occasion de s’amuser. Il est surpris devant des choses banales comme des grenouilles. Il ramasse à un moment un bouclier de soldat et une épée. Il se prend alors pour un chevalier sans se douter que la présence de ses objets dans la forêt est synonyme d’ennemis dans les environs. Sa sœur, quant à elle, s’autorise peu de pause, s’attendant à tout moment à voir surgir des rats ou l’Inquisition.
Régulièrement cependant, un moment de répit s’installe lorsque Hugo trouve une fleur. Il avait un herbier dans lequel sa mère avait mis de très nombreuses fleurs. Lorsqu’il en reconnait une il la cueille pour la mettre dans les cheveux d’Amicia. Un moment touchant qui lui permet de se détendre un peu.
Hugo fait aussi preuve de compassion envers les animaux. Il le montre principalement dans un niveau où l’on voit des centaines de cochons morts. Lorsqu’il tombe sur ce qui semble être le dernier survivant du groupe il lui parle et montre sa joie de le voir en vie. Par la suite nous serons contraints de nous servir de ce cochon pour appâter les rats. Le jeune garçon s’en prendra alors verbalement à sa sœur, plus fortement que lors des premiers meurtres humain qu’elle a dû effectuer. La mort d’un animal le choque plus que celle d’un homme.
Amicia et un ami orphelin mènent un cochon vers les rats pour s’en servir d’appât
Durant leur aventure ils se feront des amis. Des jeunes orphelins comme eux qui leur viendront en aide. Les enfants sont presque les seuls personnages amicaux du jeu comme si la peste avait fait perdre toute humanité aux adultes. Ces compagnons, seront l’occasion de moments joyeux et de détentes lorsque Amicia et Hugo rentrent au château-fort leur servant de base. Ensemble ils essaient de se récréer un endroit agréable où ils peuvent de nouveau se sentir en sécurité.
Parmi ces orphelins, un frère et une sœur survivent en volant. Ils viennent d’un milieu pauvre en opposition avec la richesse des enfants De Rune. Ils les accompagnent une partie de l’aventure et leur apprennent leur façon de vivre. C’est l’occasion pour Amicia de se rendre compte de la chance qu’elle a eu en naissant dans la bonne famille. Elle n’a jamais eu à se soucier de son prochain repas et encore moins à risquer sa vie pour ce dernier. Elle réussit tout de même à s’adapter à ce mode de vie rapidement, face aux événements qui l’y contraignent.
Un univers violent et gore
Les protagonistes de A Plague Tale font face durant tout leur périple à l’horreur. Où qu’ils aillent la mort est omniprésente. Que ce soit à cause de la maladie ou des menaces humaines et animales, ils sont très rarement en sécurité. Ils sont aussi souvent contraints de tuer.
C’est lors d’un simple entrainement à la fronde avec son père qu’Amicia se heurte pour la première fois à la mort. Durant cette balade, son chien se fait happer dans un trou d’où sortent par la suite des gerbes de sang. Avant même que les réelles ennuis arrivent elle perd son plus fidèle compagnon. Pour une adolescente voir mourir un animal avec lequel on partage sa vie depuis des années parfois même depuis la naissance est particulièrement violent. Elle perd un ami. Cet événement suivi de la mort de son père et de sa mère lui font perdre tous ses repères.
Par la suite, A Plague Tale ne se montrera pas plus tendre avec l’entourage des enfants. Les quelques adultes leur venant en aide mourront. Ainsi le moine qui leur permet de fuir le village au début du jeu, se fait dévorer devant leurs yeux. Une scène très violente beaucoup utilisée dans les bandes annonces du jeu. C’est à ce moment que Amicia et Hugo rencontrent les rats, un ennemi capable de tuer n’importe qui, même des religieux.
Suite à cela Amicia décide de se diriger vers le seul homme qui connaît la maladie de Hugo, Laurentius. Il est le médecin qui cherche depuis la naissance du petit, un remède au mal qui le ronge. En arrivant à sa demeure ils découvrent que l’Inquisition est déjà passée par là et a abattu tous les animaux de la ferme. Le décor est rempli de mares de sangs et de tas de cadavres. La rencontre avec le médecin sera la première et de façon surprenante l’une des rares fois où l’on voit un homme souffrir de la peste bubonique. Il meurt, peu de temps après, dans l’incendie de sa demeure.
Hugo et Amicia arrivent à la ferme de Laurentius. Ils traversent une mare de sang.
Pendant le reste de l’aventure, les enfants ne cherchent plus à approcher des adultes. Leurs nouveaux amis seront tous des orphelins. Ils survivront ensemble, en s’entraidant.
L’une des morts les plus mémorables de A Plague Tale surviendra dans ce groupe. C’est celle de Rodric, un jeune forgeron. Il est l’un des seuls personnages qui meurt auquel nous avons eu le temps de nous attacher. Tous les autres sont décédés peu après leur apparition dans le jeu. Lui se sacrifie pour protéger ses amis. La mise en scène de sa mort n’est pas spectaculaire. Il se prend une flèche dans le dos et s’effondre. Il garde les yeux et la bouche ouverts, se figeant dans une position que seul un cadavre peut avoir. Ces éléments renforcent la violence psychologique de la scène autant pour les joueurs que pour Amicia.
En plus de toutes ces morts dont sont témoins les enfants. De très nombreux cadavres jalonneront leur chemin. Ce sont le plus souvent de simples malades recouverts d’un drap ou des soldats morts au combat. Cependant parfois la mise en scène environnementale viendra souligner une histoire tragique.
A toutes ces morts éprouvantes pour Hugo et Amicia s’ajoutent des actions horribles qu’ils sont contraints de faire.
Après la fuite de leur demeure familiale, les enfants se réfugient au village. Ils découvrent à quel point, dans la détresse, les hommes peuvent perdre la tête. Le village cherche des boucs émissaires, les responsables de cette nouvelle maladie qui les déciment tous. Les De Rune, famille noble aux lourds secrets est la cible parfaite. Amicia tente de leur faire entendre raison sans succès et sera contrainte, pour se défendre, de se servir de sa fronde. Elle va tuer un homme.
Ce premier meurtre d’une longue série la choque énormément. Elle s’excuse à plusieurs reprises tout en tremblant. Elle a vu mourir tous ceux qui lui étaient chers, elle est maintenant aussi responsable de la mort d’un villageois. A ce moment précis, mise en scène, musique et animation fonctionnent ensemble pour servir le récit et nous montrent la profonde détresse dans laquelle Amicia se trouve.
À la longue, tuer finit par devenir presque banal pour elle. Elle va même jusqu’à se servir de la faiblesse des rats, la lumière, pour les pousser à dévorer ses ennemis. La mort infligée est alors horrible. Les hommes hurlent de douleur en se débattant. Amicia s’érige en bourreau et effectue cette action très régulièrement durant l’aventure.
Cependant, quelques passages nous donnent le choix. Nous proposant de faire preuve de clémence en prenant le risque que cela se retourne contre nous. Quoi que nous fassions nous ne récoltons aucune récompense matérielle. Mais laisser la personne en vie soulage Amicia qui a le sentiment pour une fois d’avoir fait une bonne action. Dans l’autre cas elle s’en voudra car ce meurtre n’était pas nécessaire.
Nous pouvons allumer une torche près de l’homme pour le sauver.
Même si Amicia semble s’habituer aux horreurs qu’elle commet et dont elle est témoin, un chapitre à la fin du jeu viendra remettre cette idée en cause. Dans ce chapitre, elle va à la recherche de Hugo qui est partie dans la nuit. Dans la forêt, elle fait une chute et perd connaissance. Elle revit alors les moments les plus durs de leur aventure.
Elle se retrouve au village. Toutes les fenêtres et portes se ferment à son arrivée montrant l’exclusion, la solitude qu’elle ressent. Clervie, seule personnage amical accuse Amicia d’être la raison de la fuite de son frère. Au sol, nous voyons le seul cadavre de chien du jeu en référence à Lion, son fidèle compagnon. Ainsi, même si elle ne l’évoque jamais nous savons qu’elle pense toujours à lui.
Elle se retrouve ensuite à la ferme de Laurentius au milieu des cadavres d’animaux. Le médecin lui dit que tuer n’est pas aimer. C’est la première fois que l’on a une vraie preuve que Amicia ne s’est pas habitué aux meurtres. Elle se retrouve ensuite au milieu de cadavres humains qui tendent les bras pour l’attraper. Ce niveau est important, il montre que Amicia n’a pas perdu son côté humain et que ce qu’elle a vécu l’a profondément marquée.
Une prise de maturité
Le changement extrême de situation de Hugo et Amicia conjugué à ce qu’ils vivent va leur faire prendre en maturité.
Amicia passe d’une simple adolescente qui ne se soucie de rien, à une personne ayant une grande responsabilité. Sur elle, repose la survie de Hugo. Elle découvre l’alchimie. Lui permettant de confectionner de nouveaux projectiles pour sa fronde. Elle apprend à se servir des rats via des appâts (cadavres ou Odoris lancé avec sa fronde) et surmonte progressivement sa peur de ces animaux. Elle gagne en assurance et finit par accepter que ce qu’elle fait est nécessaire. Tuer ne la choque plus tant que cela est pour le bien de ses amis.
Durant l’aventure nous la voyons passer d’une jeune apeurée et sans repère à une femme forte avec des convictions. Nous pouvons y voir un parallèle avec le passage à l’âge adulte. Elle quitte le cocon familial pour se retrouver dans des lieux qu’elle ne connaît pas et où tout lui parait hostile. C’est grâce aux amitiés qu’elle se forge et son parcours qu’elle mûrit.
Hugo, quant à lui, apprend à maitriser ses émotions. Au début de l’aventure il passe son temps à vouloir s’amuser et à s’inquiéter dès que sa sœur s’éloigne de lui. Lors des phases d’infiltration si le joueur le laisse seul trop longtemps il se met à crier. Dans les derniers chapitres il gagne en confiance en lui. Il réussit, en étant seul, à rester discret au milieu des ennemis. Le jeune garçon prend le dessus sur sa maladie et découvre qu’il est capable de contrôler les rats. Il devient capable de se défendre seul. Il ne dépend alors plus de sa sœur.
Conclusion
A Plague Tale montre comment des enfants, livrés à eux même, réagissent face à l’horreur. Tout ce qu’ils ont vécu est à l’opposé de ce que l’on imagine de la vie d’un enfant. Le monde entier semble contre eux. Les personnes fragiles qu’ils étaient au début de l’aventure ont dû s’endurcir pour survivre. Les actes qu’ils ont commis et dont ils ont été témoins les ont poussés à prendre en maturité.
Merci d’avoir lu cet article. C’est le premier du genre que j’écris. Je suis ouvert à toutes remarques permettant de l’améliorer. N’hésitez pas à le commenter et à le partager s’il vous a plu.
© Screenshots réalisés en utilisant le mode photo de A Plague Tale
